Projet céramique/danse/performance

L'objet.
Une boule en céramique. Un objet sphérique au contour irrégulier, une boule que l'on peut à peine tenir dans les mains tant sa surface est chaotique. Il y a comme des piques, fibres solidifiées, et des cassures qui semblent pouvoir trancher la peau. La pièce a un diamètre entre trente et quarante centimètres, elle est émaillée d'un noir mat. Contraste entre la fragilité de l'objet, due à sa matière, et la difficulté de la préhension, due à sa forme, ou plutôt à l'irrégularité de sa surface, qui rend la boule presque dangereuse à prendre en main.

L'action.
Une personne danse, marche, ou se tient immobile, debout ou au sol, au milieu d'autres individus. Ceux-ci dansent aussi, ou marchent, s'arrêtent, se croisent, se regardent ou s'ignorent, improvisent une chorégraphie pour eux-même ou en rapport à la façon dont les autres bougent. On est ici comme dans une rue animée: il y a des groupes et des individus isolés, des gens qui sont pressés, d'autres qui flânent. Celui (ou celle) qui a la boule semble la découvrir, palpe ses contours, la soupèse. Elle semble assez légère mais on sent bien que, symboliquement, elle lui pèse. Il esquisse peu à peu des gestes avec l'objet, l'assimile, se met peu à peu à bouger et danser avec elle. Un autre individu s'approche et s'intéresse à ce curieux duo. Il est intrigué par la sphère mais ne sait s'il peut la toucher. Il improvise des gestes pour tenter d'aider l'autre à porter la boule qui semble de plus en plus lourde.
La suite, je ne la connais pas. Improvisation. Comment danser avec cette boule inconfortable? Comment vivre, évoluer au milieu des autres avec ses propres "lourdeurs"?



Références


Tutuguri-Tarahumaras 79

1980, 25'
Image : Régis Hébraud, montage : R. Carasco et R. Hébraud

"Ce film a été tourné l'été 1979. Il répète le rite du Tutuguri que Tranquilino, le Saweame, a chanté et dansé six fois, dans un temps bref, rigoureusement précis (1 minute 45). Paroles secrètes dont seules émergent les voyelles, la danse construit un espace sacré entre les quatre points cardinaux d'une croix, signe noir et païen. Rite solaire et natif, antérieur à la conquête espagnole". R.C.

Raymonde Carasco,
maître du poème ethnographique
Lorsque l'on découvre l'oeuvre de Raymonde Carasco, une entreprise poétique exemplaire du cinéma contemporain, soudain il semble que le cinéma accomplisse les idéaux du Romantisme allemand "Si tu veux entrer dans les profondeurs de la physique, fais-toi initier aux mystères de la poésie" (Schlegel).Comment le cinéma accède-t-il à la vérité poétique des phénomènes, comment la description sensuelle des apparences et des particularités peut-elle se convertir en un tel "chant magnétique"? Cela tient d'abord aux origines de l'enquête : Raymonde Carasco n'est pas partie au Mexique pour violer et piller l'imaginaire Tarahumara, elle est partie sur les traces d'Antonin Artaud, vérifier empiriquement les rencontres d'un texte sacré de la modernité avec le réel. De sorte que sa recherche ne consiste pas en une investigation classique (éluder, dévoiler et divulger) mais en une alliance sensible : jouir du privilège d'être là, accepter de ne pas tout voir, accepter de relever lentement quelques traces, de prélever quelques mouvements, quelques signes à la beauté amicale avant de prétendre à la compréhension des choses, partager non pas le secret mais le culte du secret, du mystère et de la transe. Or, avant même de trouver son terrain sur les plateaux du Mexique, l'élégance formelle qui structure le style de Raymonde Carasco dès Gradiva esquisse 1 relevait des schèmes plastiques propres au rite : fragmentation, monumentalité, fétichisation, sérialité. Mais le cinéma ici ne monumentalise pas autre chose que le réel même, au sein duquel Raymonde Carasco a élu un motif privilégié, le geste. Elle montre que chaque geste humain, à commencer, comme chez Muybridge et Marey, par la marche et la course, résulte moins des caractéristiques singulières du corps individuel concret que d'un rapport global de l'homme au monde -- tout geste est une mythographie, et ce que Raymonde Carasco décrit des Tarahumaras comme Jean Rouch des Dogons nous indique comment nous aussi nous sommes des marionnettes turbulentes, mais tirées par des fils moins magiques.
Nicole Brenez, 

http://melusine.univ-paris3.fr/Av_Mod/Dos3_2.html


Ce "poème ethnographique", avec le rituel des TuTu Guri décrit par Artaud en voix off, m'a touchée d'abord par des choix formels, et esthétiques, et surtout parce qu'on n'a qu'une vision entrecoupée, fragmentaire des scènes. Plans coupés sur les jambes des Tarahumaras, les "hommes qui marchent", personnages dont on ne voit que les pieds nus qui, foulant le sol, traversent l'espace horizontal de l'écran. Plans coupés sur les jambes des femmes: juste des pieds et des bas de jupes, richesse des couleurs dans les tissus. J'ai eu envie de m'en inspirer pour ce projet vidéo


Réalisation


- Maquettes:
Boules en ouate de coton recouvertes de tissus, toile de jute, fils de coton qui pourront brûler et ne laisser dans la porcelaine ou la faïence que la mémoire formelle de leur présence. Je réalise l'importance pour moi de ces matières textiles, l'idée qu'elles sont nécessaires à l'élaboration de l'objet mais disparaissent en restant visibles d'une autre manière. Je me plais à créer ces formes entre mes mains, à les ligaturer avec des fils de coton qui les maintiennent en leur assurant une forme irrégulière, aléatoire, sans dessin précis préalable. Importance du geste sur l'instant. La prise dans la porcelaine ne serait-elle pas finalement la trace du geste? Je me plais à choisir les tissus et fils de couleur. Je veux que la pièce soit belle même si elle doit être brûlée, surtout parce-qu'elle doit l'être. Je pense à la vie elle même, et à toutes ses beautés éphémères. Livrer la beauté au feu. Sacrifice rituel?
 




Maquette 1, toile de jute, fil de couleur
Maquette 1



Maquette 2, toile de jute sur ouate de coton

Maquette 1, pâte crue au séchage
Maquette 2, pâte crue au séchage



 

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